Sidney Carron


Sidney Carron a commencé la photographie lors d'un voyage au Cambodge et s'est ensuite lancée avec enthousiasme dans cette passion de toujours, abordant le médium photographique par des voies variées et originales : d'abord photographe itinérante sur les routes californiennes, elle a ensuite travaillé en tant qu'assistante photographe à l’Union Square Studio et au magazine Cosmopolitan à New York, avant d'accompagner le photographe Thibault Jean Jean lors d’un reportage sur le bénévolat en Afrique. Dans sa série de portraits en noir et blanc « chaîne humaine », qui met en scène différents artistes et célébrités, Sidney Carron aborde l'idée de la chaîne de façon très novatrice, en faisant porter à chacun de ses modèles les yeux du modèle précédent. Le concept de chaîne humaine est souvent utilisé pour mettre en valeur l'idée de solidarité, le lien étant généralement effectué à travers les mains : il s'agit toujours de mettre en exergue l'union des êtres à travers un lien qui transcende les individualités. Le choix de la photographe de mettre en valeur les yeux comme lien entre chaque portrait n'est pas innocent et suggère que l'élément qui unit les hommes entre eux consiste finalement en leur capacité à voir le monde à travers le regard d'autrui, à adopter un point de vue différent du leur. Cette série semble de fait promouvoir, de façon à la fois légère et simple, une forme d'ouverture d'esprit, nécessaire à la compréhension d'autrui et du monde. La question du regard est d'autant plus pertinente ici que cette série pose également des questions méta-artistiques : les artistes sont en effet généralement considérés comme ayant la capacité de voir le monde différemment, d'en avoir une approche originale. Tous ces artistes sont donc liés, au sens propre et figuré, par cette question du regard, un regard qui leur est à la fois personnel, mais également commun, dans le sens où tout artiste est porteur d'influences esthétiques. La photographe, qui observe le monde à travers l’œil de son appareil, est l'incarnation même de cette idée, et constitue finalement l'élément caché de cette chaîne humaine. Ce jeu sur le regard pose donc nécessairement la question de l'identité individuelle et collective : les yeux sont en effet extrêmement révélateurs. Souvent décrits comme le « miroir de l'âme », ils semblent offrir un accès direct à la véritable nature d'une personne. Cette série, par son jeu sur le regard, semble donc suggérer que les individus ne sont finalement que le produit unique d'influences diverses, interconnectés par des liens à la fois spirituels, artistiques et émotionnels qui transcendent l'individualité. Cette série ne nie toutefois pas l'individualité propre à chaque personnalité représentée, bien au contraire. La photographe a en effet pris soin de choisir le cadre, la mise en scène et l'ambiance de chaque photographie de façon à faire correspondre l'esthétique de chaque œuvre avec le sujet photographié : certains artistes sont ainsi représentés de façon très esthétisée, d'autres de façon plus naturelle et humoristique. La photographe a également fait le choix de la spontanéité pour cette série, malgré la composition réfléchie : le shooting a été effectué en 30 mn, les yeux ont été imprimés et collés directement sur le modèle, l'éclairage a été travaillé avec des lumières artificielles aussi simples que la lampe de poche, comme pour finalement montrer, par cette dimension volontairement artisanale, un désir d'humilité, une volonté de soulever des questions, sans toutefois prétendre en fournir les réponses. La photographe laisse ainsi, par le biais de cette légèreté qui parcourt la série, un espace de liberté au spectateur : à lui de lire et interpréter les œuvres et le projet selon sa sensibilité propre, d'y voir les réponses aux questions qu'il se pose, ou de faire une simple balade humoristique et esthétique dans cette galerie de portraits d'artistes.